LOGOAPS asbl
Association des Praticiens du Souffle

Les praticiensContactArticles scientifiques et publications de nos membresRetour à la page d'accueil


petitlogoAPS




Présentation faite au colloque FPHE 2018


par Marie-Françoise Louche et Pascale Pierret


3 Illustration par 3 vignettes cliniques

Nous illustrons et développons notre propos avec 3 vignettes cliniques :

3.1 Charline et Ben

Charline vient seule la première fois, pour comprendre et arrêter la souffrance qui l'a envahie depuis qu'elle a "raté" son accouchement. Comme sa mère, elle a dû accoucher sous péridurale. Mais alors que pour sa mère infirmière-anesthésiste, c'était une victoire féministe par rapport à la douleur de l'enfantement, pour elle qui n'en voulait à aucun prix, ce fut une défaite. Elle a craint d'avoir perdu le contact avec Ben, son enfant, et qu'il se soit senti fort seul abandonné, pour terminer le chemin...

Ben est un enfant désiré, Charline a pratiqué l'haptonomie, sa grossesse s'est fort bien déroulée, son compagnon s'est montré tendre et compréhensif, bien qu'il soit souvent un peu trop effacé aux yeux de Charline. Seulement, voilà, un mois avant l'accouchement "papa s'est cassé la jambe" dans le déménagement de leur appartement (papa s'est cassé ?!). Charline a eu le sentiment de devoir tout prendre en mains. Peut-elle encore compter sur "papa" ?

Le jour de l'accouchement, Charline, fatiguée, a l'impression, dès les premières contractions, d'être aspirée dans un trou noir. Elle panique. S'en suivent 36 heures d'un travail douloureux et angoissant. Finalement, on lui administre la péridurale. Après celle-ci, Charline estime que le papa s'est désintéressé de ce qui se passait et elle s'est sentie abandonnée.

Charline croit que son compagnon aura du mal à prendre sa place de père alors elle lui cède la sienne : les 6 premiers mois, Charline est en dépression (post-partum), c'est le papa qui materne et donne le biberon. Petit à petit, Charline qui a entrepris une psychothérapie remonte la pente et essaie de reprendre sa place, mais ce n'est pas simple. Trois ans plus tard, Ben, me dit-elle, enfant colérique et anxieux, ne lui obéit guère et répond le plus souvent à ses invitations par "Non pas toi, avec papa" ou encore "c'est papa qui décide."

Le processus des passages :

Nous ferons d'abord des jeux de passage avec Charline où elle découvrira avec surprise qu'elle a une peur bleue de sortir du tunnel et de s'engager dans la vie, "C'est peut-être plus attractif de "l'autre côté"", dit-elle. Elle pourra mettre cela en lien avec son destin d'enfant "sparadrap" mise au monde pour sauver le couple de ses parents… et qui n'a pu empêcher "papa de partir" lorsqu'elle avait cinq ans.

Ce sera ensuite à Ben de venir faire des jeux de passage avec ses parents. Certes Ben jouera un peu avec maman à "Non, pas toi, c'est papa qui..." mais pas tant que ça. Je vois surtout un gamin déluré qui n'a pas peur de jouer dans les tunnels et qui en redemande pour que ça soit encore plus dur et que ça résiste bien (eh oui, 36 heures c'est long !) avant de débouler ravi, à la sortie des tunnels. Je rencontre un papa attentif et coopératif qui se demande si sa femme a pu avoir suffisamment son fils pour elle seule après la naissance. Je verrai la petite famille deux fois. A la fin de la seconde séance, Ben qui s'est bien amusé, propose puisqu'ils sont tous les trois fort fatigués, que papa et maman fassent dodo ensemble et lui veut un lit rien que pour lui…

3.2 Noé

Noé est un enfant de 3 ans et demi adopté à l'âge de 2 mois. Ses parents adoptifs n'arrivent plus à faire face à ses colères incessantes. La nuit, Noé pleure, veut dormir dans le lit de ses parents qui ne parviennent plus à lui résister. Souvent il tyrannise sa mère, s'agrippant amoureusement à elle ou voulant la frapper en la menaçant de mort. Depuis peu, Noé fuit son père avec qui il refuse le contact. Par contre, il se laisse totalement dominer par son frère ainé âgé de 6 ans, également adopté. Lorsqu'il se trouve dans un groupe, il se sent seul et il frappe les autres enfants.

"La naissance de Noé s'est déroulée normalement". Ses parents biologiques qui ne pouvaient accueillir un enfant de plus ont souhaité qu'il ait une enfance choyée. Il est suivi par un neuropédiatre pour troubles du langage et il est dit que Noé souffre de "troubles de l'attachement".
Ma collègue Monique SOMERS avait déjà reçu la famille lorsque Noé avait 18 mois et cela avait apporté un réel soulagement aux pleurs et colères incessantes de Noé. Les parents espèrent renouveler les effets bénéfiques des jeux de passage.

Je demande à Noé s'il sait pourquoi il est là ? Je lui explique en mots simples qu'on va raconter et jouer son histoire de naissance. Noé est très agité, je lui offre de venir dans mes bras pendant que maman commence à conter leur histoire. Noé refuse avec véhémence. Je propose alors au papa de le contenir fermement dans ses bras. Noé hurle, se débat puis s'apaise dans les bras de son père. Plus tard, il se défoulera en déboulant à toute vitesse, et à de multiples reprises, à travers mes tunnels en tissu. Papa à qui je rappelle les vertus du holding, que Monique SOMERS leur avait enseigné deux ans plus tôt, reprend confiance dans sa capacité à contenir son fils dans ses bras quand il est en crise et à le cadrer au quotidien. Noé quitte (à nouveau) la chambre parentale. Six mois et quatre séances plus tard, Noé traverse calmement les tunnels et il peut même y rester un moment pour se "cacher" puis venir se reposer contre le ventre de maman. La maman dira : "Noé n'explose plus autant mais vit plus les choses à l'intérieur". La famille est partie en vacances et Noé a pu s'adapter au mini club de l'hôtel...

3.3 Corentin

Corentin, 29 ans, sera bientôt papa pour la première fois. Grâce à l'haptonomie, sa femme et lui communiquent déjà beaucoup avec bébé qui naîtra dans deux mois. Cette expérience lui permet de réaliser qu'il n'en a pas fini avec les séquelles de sa propre naissance. Une psychothérapie, entreprise à 21 ans pour faire face à des difficultés coutumières aux personnes diagnostiquées "Haut Potentiel", lui avait fait prendre conscience que son appréhension de la réalité, vécue sur le mode "Les choses se font toujours dans la douleur", remontait à sa naissance. La thérapie l'avait bien aidé, lui permettant de sortir de l'angoisse avec de fortes somatisations ("ulcères aux intestins"), d'oser entrer dans ses propres objectifs, notamment professionnels (exercer un métier manuel qu'il enseigne aujourd'hui). Cette revalorisation de lui-même à ses propres yeux lui avait aussi permis d'apaiser ses rapports avec sa famille d'origine et de s'épanouir dans une relation amoureuse. Mais bientôt son fils sera là et Corentin s'angoisse : il ne veut pas lui transmettre cette insécurité qu'il sent toujours au fond de lui-même.

Première séance. Premier passage. Je propose à Corentin de s'allonger en position de fœtus, sous une couverture. Mes tunnels en tissu démarrent à proximité de sa tête (c'est le dispositif habituel). J'induis un état de détente et lui propose de d'abord bien sentir ce qui se passe "dans le ventre de maman" puis, lorsqu'il se sentira prêt, de s'engager dans le tunnel, à son rythme, comme il l'entend, en restant toujours dans l'accueil, sans jugement, de ce qui pourrait lui venir comme sensations, images ou émotions.

Corentin s'agite sous la couverture, il s'avance vers le tunnel puis recule à de multiples reprises, finalement il s'engage et progresse normalement. Il semble très éprouvé à l'arrivée. Comme après chaque passage, pour tous mes patients adultes, je propose à Corentin de s'exprimer picturalement à partir de la structure toute simple d'un cercle tracé au milieu d'une page blanche (technique du Mandala) avant de partager, verbalement, ce qu'il vient de vivre.

Retour 30 ans plus tôt. Corentin est arrivé par surprise dans une famille unie où il y a déjà 4 enfants. Sa maman a 39 ans et il s'implante sur un stérilet. Très vite, maman, puéricultrice, se réjouit de sa présence : elle arrêtera de travailler pour donner tout son amour à Corentin. On ne sait pas quelles ont été vraiment les réactions du père, décrit comme juste et protecteur mais aussi autoritaire, dur et intransigeant. En tout cas, il sera absent lors de l'accouchement. La vie dans le ventre de maman ne sera pas de tout repos : agression du stérilet et, bientôt, d'une ponction amniotique, inquiétudes pour sa santé et celle de sa mère, relativement âgée, chute avec jambe cassée pour maman à mi-parcours… et une naissance catastrophique avec rupture de la poche des eaux avant terme, circulaire qui le tire en arrière à chaque essai de progression. Corentin (4,400 kg), ne passe pas et manque d'oxygène. On procède en urgence à une césarienne. Maman sous péridurale est très affaiblie. On met Corentin 24h sous surveillance médicale avant de le ramener, "tout hurlant", à sa mère.

Après ce premier passage, Corentin dira : "J'ai eu peur, je me sentais pris à la gorge, j'essaie de fuir et "ça" reste là. J'étais en détresse. J'ai cru que j'allais pas y arriver, que j'allais y rester, comme un alpiniste coincé, tétanisé." ija lui fait penser que, dans sa vie d'aujourd'hui, il a encore du mal à prendre le temps. Il ne se laisse pas le temps de respirer et, dans l'affolement bien souvent, il n'achève pas ce qu'il a commencé. C'est arrivé souvent pendant ses études. Mais aussi, parce qu'il faisait des choix pour faire plaisir à l'autre ou pour ne pas le rendre triste. En fait, pendant longtemps, il ne s'est pas senti libre de ses mouvements, au sens propre comme au sens figuré, ce qui l'amenait souvent à être gauche et à se prendre des "pelles".

Deuxième séance. Corentin s'est senti déprimé et énervé après la première séance ; une expérience désagréable où, d'après lui, il est en cause et ça s'est mal passé. Trois jours plus tard, il avait le dos tout coincé, puis il a fait une chute avec douleurs aux jambes et heureusement hier l'ostéopathe l'a décoincé.
Je propose un deuxième passage en prévenant Corentin que, cette fois-ci, je ne serai pas seulement dans une présence bienveillante et contenante, mais que je vais reproduire un peu de ce qu'il a dû vivre, venant de la part de l'autre, dans sa naissance historique (concrètement je vais repousser sa tête lorsqu'il voudra avancer et finalement l'extraire du tunnel).

Corentin s'est d'abord senti englouti, puis des éclairs sont venus percer sa bulle. Il s'est senti plein d'agressivité, il a essayé de se recroqueviller le plus possible mais ça a éclaté. Il a ressenti beaucoup de colère par rapport à ce qui venait de l'extérieur, une envie de hurler, de la rage. "Qu'est que je fais ici ? Ok, là, je vais subir, je viens d'en prendre plein la gueule et ce n'est pas terminé... Je ne peux pas me protéger... Etre comprimé, ce n'est pas toujours désagréable, mais là, la sortie, je peux pas y arriver".

Corentin fait des liens avec son quotidien où "avancer ne peut se faire qu'en force et en étant agressé", où finalement il est toujours dans l'attente que quelque chose de désagréable lui tombe dessus. Corentin se dit que c'en est fini de jouer les victimes qui ne savent pas sortir leur colère. Il se souvient qu'en primaire, il avait une tête de plus que les autres et il s'interdisait de répondre physiquement aux agressions, de peur de faire mal aux autres. "J'ai été un tortionnaire contre moi-même" Au fond, il se demande si les problèmes ne lui servent pas "d'excuses" pour pouvoir rester dans une attitude défensive et dans le contrôle. Il s'interroge : Et si les choses ne devaient pas se faire dans la douleur ? Au fond, "dans la douceur, ça marche aussi".
Une dernière séance est programmée. Je préviens Corentin qu'il s'agira de faire un passage tel qu'il aurait aimé le vivre, et qu'il peut déjà y réfléchir avant notre prochaine rencontre.

Troisième séance. Corentin est en forme, les perspectives sont exaltantes : l'année scolaire se termine et son fils devrait arriver fin de la semaine ! Corentin dit qu'il parvient à être plus posé, plus confiant, plus dans le moment présent, qu'il s'apaise. Il sent aussi qu'il y a quelque chose à terminer dans notre travail et maintenant il est dans l'envie de terminer les choses qu'il entreprend !

Pour ce troisième et ultime passage, Corentin veut du temps, de la douceur, de l'amour et du respect…concrètement. "Ce serait parfait que cet état d'esprit soit là… (mais) c'est formateur de faire des erreurs. ija doit être horrible des parents parfaits !"

Après ce passage où Corentin a convié en pensée, symboliquement, son père, sa sœur préférée et son Grand-père modèle d'humanité et de bienveillance, Corentin trace un mandala avec du rose pour la douceur, du blanc pour la page blanche des possibles, du jaune pour la chaleur, du bleu pour représenter "l'appel, ce qui fait lien, ce qui est là sans être envahissant", et au milieu, en vert, la force de vie, c'est lui !

Chapitre 4 : résilience




© Association des Praticiens du Souffle asbl (n° entreprise 0476 287 717)

Valide HTML 4.01