LOGOAPS asbl
Association des Praticiens du Souffle

Les praticiensContactArticles scientifiques et publications de nos membresRetour à la page d'accueil


petitlogoAPS




Présentation faite au colloque FPHE 2018


par Marie-Françoise Louche et Pascale Pierret


1 Rejouer la Naissance, déjouer le trauma Jeux de passage, Souffle et réparation du lien


Les jeux de passage proposent un espace et un moment où il est rendu accessible une (ré) expérimentation d'une métamorphose.
Dans une vision première, c'est la métamorphose d'une nature d' "être vivant non-respirant aérien" à la nature d' "être vivant respirant aérien". C'est la remise en contact avec les étapes de ce cheminement que nous avons tous vécu à notre manière (plus ou moins naturelle, plus ou moins traumatique...).

Notre vécu est la rencontre de notre réalité structurale essentielle de mammifère et de notre réalité autobiographique...

1.1 Remise en contact avec le cheminement de notre naissance

Le tunnel peut symboliser le ventre maternel. Dans notre progression reptatoire, nous recontactons : le déclenchement, le travail, la sensation d'être prêt, bousculé, contraint, extrait, paisiblement, en urgence... la lutte contre la résistance - suffisante ou pas ou insurmontable-insurmontée. Puis l'expulsion, l'accueil, les conditions de l'accueil dans toutes ses variations...

Chacune des micros étapes a pu se décliner selon une myriade de nuances et de variations...

Il s'agit ici de laisser son mental de côté et de s'ouvrir à l'expérience pour ré-expérimenter ce qui a été vécu avant même les mots...
Il s'agit d'accueillir ce que l'on ressent que ce soit une nouvelle sensation ou le réveil d'une mémoire cellulaire...
Sentir ce qui nous a, peut-être, manqué ou brusqué ou.... Et, à partir de là, choisir ce qui, maintenant, dans notre corps, est juste pour nous ! Nous l'autoriser avec l'aide, la présence de l'Autre, bienveillant qui nous accompagne, nous encourage, nous guide, nous laisse expérimenter en sécurité. Ce travail nous permet de revivre notre histoire pour, l'apprivoiser, nous l'approprier ...

Cette métamorphose peut aussi concerner d'autres changements de notre vie : une phase à laquelle on accède en laissant derrière nous une ancienne phase...Un cheminement, une étape, un passage... Il y a un avant "le tunnel" et un après...Une forme de mort-renaissance...


1.2 La liaison avec le travail du souffle

Là, le lien avec le travail du Souffle est évident : centré sur notre souffle, nous sommes totalement dans le présent, même si une petite part de notre esprit ne peut s'empêcher de "nous" observer dans ce présent, nous sommes guidés dans et par nos sensations. Il ne s'agit pas de "savoir" ce que nous avons besoin de faire, mais, de le sentir et d'accueillir ce qui se passe et laisser faire le mouvement qui suit... Il s'agit de vivre, dans son corps tout entier, ce passage, quel qu'il soit. Les mots viendront peut-être après - ou pas-, des sons, un chant...

Même si mettre des mots rassure parfois et peut permettre de fixer sur un autre registre l'expérience traversée, nous ne sommes pas à ce niveau d'être, à ce moment-là. L'usage du non-verbal, comme le dessin d'un mandala, permet cette expression, en restant dans le ressenti. La prise de conscience de notre respiration nous révèle aussi ce cycle/passage : avant-pendant-après... Chaque cycle respiratoire nous transforme et nous recentre, nous donne l'opportunité de coïncider avec nous-même. Le travail du souffle, la séance de "respiration", est aussi une invitation à une traversée d'une rive à l'autre... Le passage dans le tunnel peut être le revécu dans le ventre maternel avec sa dimension archétypale : quel fut mon nid ? Historique, ressenti, raconté, fantasmé...

Quelle est la place du projet d'enfant dans le couple parental ? Comment ai-je été accueilli(e) ? Le thérapeute accompagnateur est à la fois "ventre", "filière de passage", résistance et accueil...

1.3 Possibilité de création d'un nouveau lien entre nous-même et notre enfant intérieur.

La répétition des passages fait écho à l'attachement sécure selon J. BOWLBY . Repasser encore et encore... Jusqu'à saturation du besoin. Besoin d'être capable, d'être compétent, d'être respecté dans son tempo, d'être accompagné, d'être accueilli... Cela évoque aussi l'expérience de "la bobine" rapportée par S. FREUD. C'est impressionnant d'expérimenter la sensation de vulnérabilité extrême, de nudité, d'épuisement que nous pouvons ressentir à la sortie du tunnel. Et de l'accueillir ! Accueillir l'accueil du thérapeute, sa présence, sa chaleur, ses sons... Il s'offre alors à nous la possibilité de création d'un nouveau lien entre nous-même et notre enfant intérieur. Cette étape est profondément libératrice. Ce nouveau lien a été permis par les mouvements du corps, le lâcher-prise, le contact (toucher et étreinte par l'accompagnant lors du passage), l'accueil, la confiance, les permissions, les bras, parfois la berceuse... Mais, c'est nous, adultes libres d'aujourd'hui qui l'avons co-créé ! Nous sommes face à notre pouvoir créateur !

Afin d'exprimer tout le spectre coloré de l'attachement que l'expérience du jeu de passage offre à apprivoiser, il nous paraît indispensable d'évoquer le "détachement".
Pour reprendre la métaphore de la palette colorée, le détachement serait le blanc, somme de toutes les couleurs et ouverture vers tous les possibles !
Le détachement comme "désencombrement", laisser de côté ce qui n'est pas - ou plus - essentiel, laisser la place vide pour que puisse émerger une autre dimension qui nous dépasse. "La petite étincelle de l'Ame". Petite étincelle ravivée par le Souffle, point de dialogue entre nous et cette autre dimension. La proposition est après avoir - inconsciemment, consciemment, corporellement, artistiquement, verbalement rencontré ces différents liens, se permettre de se détacher. Par exemple : "Je n'ai pas été accueilli(e) à ma naissance d'un point de vue biographique", je peux, par l'aide des jeux de passage, de cette mise en scène et répétition jusqu'à la transformation, saturer mon besoin. J'expérimente autre chose : "je peux être accueillie maintenant, je suis "accueillable", je suis en lien avec mon enfant intérieur. Je "m'accueille."


1.4 Saturer l'expérience, l'accueillir complètement jusqu'à en permettre le détachement

La proposition pourrait s'exprimer par "saturer l'expérience, l'accueillir complètement jusqu'à en permettre le détachement". Lorsque je parle de détachement, je sens en toile de fond, le détachement présenté par Maitre ECKHART, ce mystique du 14ème siècle et pourtant extraordinairement contemporain. Pour lui, le détachement est le chemin, la condition nécessaire, permettant la rencontre de cette dimension qui nous dépasse, et non réductible à un nom, et nous -même... Ici, en toute humilité, nous voyons une démarche analogue : se détacher de notre histoire, de nos étiquettes, de nos expériences archaïques, corporelles, émotionnelles pour enfin se rencontrer. Pour se découvrir au-delà de "tout cela". Nous sommes bien plus que : "poids de naissance 2982 gr", "double circulaire", ou prématuré à 35 semaines... ou ... "non désiré", "non accompagné...", même si ces expériences nous ont profondément marqué.

Et, enfin, s'accueillir dans ce que nous sommes pleinement, dans notre être aimable inconditionnellement, dans notre nature profonde.

"Pour quitter un lieu, il faut d'abord s'y rendre", pour reprendre l'adage connu. Pour quitter notre conditionnement, il faut d'abord y aller, en toute sécurité ; c 'est cela qu'offrent les jeux de passage.

Est-ce chaque fois possible ? Peut-on toujours réparer le lien de soi à soi ?

Nous sommes, actuellement, incapables de répondre à cette question. Nous croyons profondément en tant que thérapeutes que nous pouvons en avoir l'intention. Nous pouvons le prendre pour credo ; l'afficher derrière soi. Et puis, une part ne nous appartient pas. Il y a une part de tempo, de moment "juste", de "sécurité suffisante", et une autre part que certains appelleraient "grâce". Notre travail est d'être dans la conscience de cette intention, de mettre des choses en place, de laisser émerger et d'accueillir.
Lorsque cette "grâce" opère, le lien avec le thérapeute se détache progressivement aussi. Il s'intériorise. Nous sommes devenus notre propre thérapeute, nous avons acquis, expérimenté cette liberté-là.

Comment s'opèrent pour vous les passages de la vie ?

Face au nouveau, y allez-vous en confiance ? Craignez-vous toujours le pire ?
Confronté à l'obstacle avez-vous tendance à foncer ou reculez-vous, craignant l'impuissance, voire attendant que d'autres vous tirent de là ?
Et, a priori, l'autre sera-t-il pour vous un soutien, un obstacle ou, autre vécu, une absence ? Nous postulons que notre manière d'affronter les changements et notre style relationnel trouvent déjà leurs origines dans le vécu du ventre maternel et dans la façon dont nous le quittons.


1.5 Concrètement, les jeux de passage …

De manière concrète, les jeux de passage se réalisent avec un matériel simple : des couvertures, des coussins, des tunnels en tissus, des tunnels en tissus soutenus par des arceaux (rembourrés pour ne pas être blessants). La personne est invitée à apprivoiser le tunnel, elle se tient à une extrémité. Dans un premier temps nous l'invitons à ressentir ce qui se passe pour elle à l'idée de faire cette traversée. Nous lui proposons ensuite d'entrer dans le tunnel, de prendre son temps, de se sentir, de sentir sa respiration, de s'y installer pendant que nous nous positionnons debout, à l'autre extrémité. Lorsque la personne le désire, elle rampe jusqu'à la sortie (ramper, pas aller à quatre pattes) et nous opposons une résistance avec nos mains sur sa tête, ses épaules, son corps lors de son passage. En fonction des situations, les jambes de l'accompagnateur peuvent aussi participer à cette résistance. La résistance sera suffisante pour permettre à la personne de sentir une présence, un contact, une pression, une réelle résistance et elle sera impérativement surmontable pour ne pas lui imposer un sentiment d'impuissance et d'être éventuellement "re" traumatisée. Les différentes situations, les différents vécus auront le lieu pour s'exprimer ici (corporellement), la personne est accueillie à la sortie par le thérapeute sur un confortable matelas. Le rythme de la personne est respecté, elle peut recommencer à souhait l'expérience si elle le souhaite et en moduler les variations ou le thérapeute peut proposer des variantes : "je te propose de le faire plus lentement et de bien sentir..." si le passage a été trop rapide en lien parfois avec une naissance provoquée ; "je te propose de te bloquer un peu plus" si le premier passage était "trop" facile.

Ce travail peut se faire tant avec les adultes qu'avec les enfants.

Aletha SOLTER nous apporte un éclairage magistral sur les jeux et l'attachement. Nous allons vous le présenter ici brièvement, même si son approche est uniquement centrée sur les enfants. Nous y voyons des liens éclairants avec notre pratique.

Aletha SOLTER est suisse-américaine, docteur en psychologie. Elle a étudié avec le Dr PIAGET et a développé ces 25 dernières années une synthèse exceptionnelle d'activités centrées sur des jeux entre parents et enfants, synthèse qu'elle appelle "le jeu d'attachement", elle en décrit 9 formes.
Les jeux de passage, tels que nous les pratiquons, peuvent aussi être compris avec sa grille de lecture. Nous y retrouvons différentes "formes" de jeu d'attachement :

1) le jeu symbolique : la mise en scène suggère un thème en lien avec l'expérience vécue, ici la naissance.
2) les jeux de régression : ils permettent à l'enfant de "jouer à avoir un âge moindre", ici nouveau-né ou bébé. Ces jeux sont importants aussi bien pour la connexion- avec le parent- que pour la guérison. Ils fournissent à l'enfant une expérience telle qu'être nourri avec amour comme le serait un bébé, peut-être même de manière inconnue pour lui auparavant. Ce type de jeu peut aider à réparer des traumatismes de négligence, de séparation ou de maltraitance antérieurs.
3) le jeu de contact corporel : Les enfants ont vitalement besoin de se connecter physiquement aux autres : le jeu rencontre une part de ce besoin important. Quand les enfants se contactent aux adultes au moyen de jeux de contact corporel, ils nourrissent leur estime de soi ainsi qu'un sentiment de sécurité et d'appartenance.
4) le jeu de renversement de pouvoir : L'enfant a l'opportunité d'éprouver sa propre force, son propre pouvoir sur le monde. Ici, il peut "sortir" quand lui le décide... Il peut courir, recommencer le passage si lui en éprouve l'envie ou le besoin.

La répétition du jeu de passage permet d'établir une relation rassurante de prévisibilité. Les jeux de passage rejoignent clairement directement ces 4 formes de "jeux" décrits par SOLTER, indirectement aussi les autres formes que nous ne décrirons pas ici.
Comme dans son approche, les rires accompagnent souvent les jeux de passages, ils aident l'enfant à se défouler de l'angoisse issue de son sentiment d'impuissance (bloqué par la naissance, vulnérable, subissant des stress, victime de traumatismes...). Un indice pour l'accompagnateur des jeux de passage- tout comme pour l'adulte accompagnateur des "jeux d'attachement" - pour sentir si son accompagnement est juste pour l'enfant à ce moment-là est le rire : si l'enfant rit - un rire franc, libre - c'est que nous sommes sur la bonne piste. Si l'enfant témoigne de la peur ou du malaise, ou de l'ennui, c'est qu'il faut proposer une autre piste... Notre créativité est sollicitée !
Pour réapprivoiser une situation difficile et se guérir d'un traumatisme, l'enfant a besoin de savoir clairement qu'il ne sera pas retraumatisé. Il a besoin de se sentir dans un contexte de sécurité suffisant ! Les jeux de passage peuvent offrir cet espace précieux.

Chapitre 2 : les mémoires de naissance




© Association des Praticiens du Souffle asbl (n° entreprise 0476 287 717)

Valide HTML 4.01